Cheveux crépus : pourquoi le défrisage de Meghan Markle me fout en rogne

Les célébrités d’origine africaine qui défrisent leur chevelure perpétuent l’idée selon laquelle une femme noire ou métisse doit se plier aux canons de beauté blancs pour être acceptée.

Le week-end dernier, comme beaucoup de monde, j’ai râlé contre l’omniprésence médiatique asphyxiante du mariage princier. Et puis, comme beaucoup de monde, je me suis quand même précipitée sur l’article Voici qui révélait la robe blanche finalement choisie par l’heureuse élue du Prince Harry. C’est vrai qu’elle est belle, Meghan Markle. En plus, pour une fois, elle me ressemble un tout petit peu (ça va, j’ai dit “un tout petit peu”) puisque j’ai la peau métissée et elle aussi. L’arrivée d’une afro-descendante dans la famille royale britannique n’a d’ailleurs pas manqué d’alimenter les pages des journaux en donnant une saveur progressiste à la cérémonie aristocratique. Il n’empêche qu’avec ses dents blanches superbement alignées et ses cheveux impeccablement lisses d’actrice américaine, je vois bien qu’il subsiste un fossé esthétique entre Meghan et moi.

Quelle ne fut pas ma surprise, du coup, de découvrir dans une énième publication Facebook attrape-clics plus ou moins corrélée au mariage une vidéo de Meghan Markle âgée d’une dizaine d’année, dénonçant le sexisme publicitaire dans une émission de Nickelodeon. Son visage d’ange est identique mais ses cheveux sont crépus et attachés vers l’arrière. La voilà qui ressemble beaucoup plus à des millions de petites filles noires et métisses qui, dans la cour de récré, rêvent d’avoir les même mèches souples et brillantes que leurs copines blondes aux yeux bleus.

À L’ÉPOQUE COLONIALE, MOQUER LE CHEVEUX AFRICAIN SERVAIT À RABAISSER LES ESCLAVES

Meghan Markle n’est bien sûr pas la seule à relayer l’injonction aux cheveux lisses de la société occidentale. Même des artistes se définissant comme féministes et engagées pour la cause noire, telles que Beyoncé ou Rihanna, ont longtemps uniquement arboré des perruques ou des lissages brésiliens peroxydées (coucou bébé RiRi dans Unfaithful). Autant de modèles qui poussent les femmes noires et métisses à transformer leurs cheveux en utilisant des méthodes souvent nocives pour le cuir chevelu comme les défrisants chimiques ou le fer à lisser.

Il faut dire que la stigmatisation des cheveux crépus ou bouclés est issue d’un héritage lointain. À l’époque coloniale, moquer le cheveux africain servait à rabaisser les esclaves. Bien plus récemment, dans les années 1970, pendant l’apartheid en Afrique du Sud, le “test du crayon” consistait à mettre un crayon dans la chevelure des gens pour déterminer leur race. Si le bout de bois tombait, les candidats étaient considérés comme “Métis” et accédaient à des privilèges que les “Noirs”, dont les cheveux crépus retenaient le crayon, n’avaient pas. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre que les cheveux naturels ne sont pas “professionnels” et qu’il vaut mieux les raidir avant un entretien d’embauche.

Dans ce contexte, comment interpréter la décision de Michelle Obama de ne révéler ses cheveux crépus qu’une fois le mandat de son mari à la Maison Blanche achevé ? Dans son livre Hair Story, untangling the roots of black hair in America (“Histoire capilaire, démêler les racines des cheveux noirs en Amérique”) la journaliste Lori L. Tharps estime que les américains étaient certes prêts à accueillir une première dame noire, mais tout de même pas coiffée d’une afro. Pendant la première campagne de Barack Obama, une caricature du New Yorker montrait le candidat démocrate déguisé en Ben Laden et Michelle Obama en tenue militaire et les cheveux naturels. Pour Lori Tharps, cette Une illustre le préjugé qui associe les coupes afro à un militantisme pro-noir agressif.

LE CHEVEUX EST UN SUJET ÉMINEMMENT POLITIQUE

Du côté des indépendantistes du cheveux, le mouvement Nappy – contraction des mots anglais “natural” et “happy” qui est également un terme péjoratif signifiant “crépu” en anglais américain – connaît un grand succès au Etats-Unis depuis les années 2000. Il prône un retour du cheveux naturel, sous toutes ses formes : afros, vanilles, tresses ou encore dreadlocks. Mais fini les produits défrisants et autres outils de torture altérant la nature du cheveux.

Cette année, en France, Aude Livoreil-Djampou, docteure en ingénierie chimique passée par L’Oréal, s’est battue pour la création d’un diplôme national de coiffure spécialisé dans les cheveux crépus, frisés et bouclés. Des textures largement ignorées par les formations de coiffeurs hexagonales. « En Europe, les personnes issues de la diversité sont frappées d’invisibilité sociale, car non représentées dans les corps de métiers prestigieux, les fonctions d’état, les médias ou les arts », m’explique l’ingénieure, « mais il y a aussi une invisibilité physique dans le domaine de la beauté. » Pour la créatrice d’un salon dédié à tous types de cheveux (le studio Ana’e à Paris), ces deux invisibilités vont de paire et font des cheveux un sujet éminemment politique. « C’est particulièrement impactant pour les enfants qui, faute de se voir dans les représentations de la beauté peuvent se trouver « moins beaux » ou « moins acceptés ». Sans modèles vers lesquels se projeter, professionnellement et personnellement, leurs aspirations et leurs rêves sont moins ambitieux. »

Mais pour la professionnelle, pas question de stigmatiser une femme pour ses choix individuels, princesse d’Angleterre ou pas. « De façon générale je trouve assez agaçant le fait de toujours dire aux femmes comment elles doivent se coiffer ou s’habiller. On ne passe pas autant de temps à commenter ce que font les hommes », tranche Aude Livoreil-Djampou. S’il n’est pas question de lui reprocher ses préférences capillaires – chacun se coiffe ou s’habille évidemment comme il veut -, la Duchesse de Sussex symbolise malgré elle, de par son nouveau statut, le poids du modèle dominant.

LA « NAPPY » ET LE PRINCE ANGLAIS

Fort heureusement, dans la culture populaire, les choses sont en train de bouger et des stars noires décident d’elles-mêmes de mettre en avant leurs cheveux naturels. À l’image de l’actrice de Twelve Years a Slave Lupita Nyong’o qui a récemment interpellé le magazine Grazia pour avoir retouché ses cheveux sur la Une de son édition britannique, la chanteuse Alicia Keys qui revendique un look 100% naturel depuis 2016 ou encore Queen B qui vient enfin de brandir ses mèches crépues à la face du monde. Au cinéma, la sortie du blockbuster Black Panther a pris des airs de révolution. La grande majorité des héros du film de Marvel sont noirs et les femmes y ont abandonné les perruques, quand elles ne les jettent pas littéralement à la tête de leurs ennemis.

Dans notre pays, si la représentation des femmes noires sur grand écran est encore largement insuffisante, seize actrices, dont Aïssa Maïga et Sonia Roland, viennent de publier l’ouvrage "Noire n’est pas mon métier" (Seuil, 2018). Elles y dénoncent leur cantonnement à des rôles stéréotypés et le racisme inhérent au septième art français. À Cannes, leur montée des marches les poings levés et les cheveux naturels avait une sacrée gueule. Pour ma part, j’ai beau me ficher royalement des traditions de la monarchie britannique, j’aurais bien aimé que les petites filles noires et métisses de 2018 voient une « Nappy » et un prince anglais se marier en boucle sur BFM TV.

(Un article de Lina Rhrissi initialement paru sur :
https://www.neonmag.fr/cheveux-crepus-pourquoi-le-defrisage-de-meghan-ma...)

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