Quand monter sa boîte signifie cacher qu'on est noir

En développant sa société d'installation de patio, Duane Draughon a effacé tout indice pour le public que lui, un homme noir, dirigeait l'affaire.

Cela signifiait aucune photo de lui ou de sa famille sur son site web; donner aux clients potentiels l'impression que l'entreprise faisait partie d'une franchise et qu'il n'en était que le chef de projet et non le patron; et recruter le représentant d'une compagnie d'assurance blanche pour mener des entretiens d'embauche afin de constituer d'une équipe commerciale blanche.

Ces tactiques secrètes l'ont aidé à facturer plus de 6 millions de dollars en neuf ans, à une clientèle blanche qu'il considère comme raciste, puisqu'il rencontrait souvent des clients potentiels qui lui claquaient la porte au nez ou se refusaient à le laisser entrer chez eux, dit-il.

"Je n'ai jamais dit que je n'étais pas le propriétaire, mais si on me le demandait, je l'admettrais. En revanche, j'ai toujours dit que j'étais le chef de projet ou un designer." déclare-t-il.

Draughon compte parmi les entrepreneurs qui se sentent obligés de dissimuler le fait que leurs entreprises appartiennent à des noirs de peur de perdre leur clientèle - soit à causes des perceptions erronées que les produits ou services sont uniquement pour les Noirs, soit à cause des préjugés raciaux de la part des utilisateurs potentiels.

Certains entrepreneurs ne laissent pas leurs photos sur des sites web et sur des documents de marketing. D'autres donnent l'impression que leurs employés blancs dirigent les opérations.

Draughon cesse ses activités de construction et déménage à Naperville pour lancer sa société de design paysager VizX Design Studios en 2014.

Après environ un an, il devient assez confiant pour se révéler comme le patron.

"D'autres patrons d'entreprises m'ont tendu la main, je suis en train de conclure des marchés. Mais j'ai tellement l'habitude de me protéger que chaque fois que je frappe à la porte, j'ai une crainte", dit-il.

Il publie même sa photo sur le site internet et sur la page Facebook de son entreprise.

Ce n'est pas un geste que l'entrepreneur en technologie de Chicago, James Parker, est prêt à faire. Il a choisi de garder son image hors de la promotion de son BestDateNight.com, qui propose des sorties à prix réduit.

"L'idée dans toute start-up technologique est de la développer, de faire beaucoup d'argent et de la balancer pour plus d'argent", dit-il. "Dès que vous dites que c'est dirigé par des noirs, les Blancs croient que c'est seulement pour les Noirs, et les Noirs vont y chercher quelque chose qui ne va pas."

Selon un rapport Nielsen de 2014 sur les habitudes d'achat afro-américaines, 55% des Noirs ayant un revenu familial d'au moins 50 000 $ ont déclaré qu'ils achèteraient ou soutiendraient un produit s'il était vendu ou soutenu par une personne de couleur ou appartenant à une minorité. Seulement 20% des Américains non africains dans la même tranche de revenu, ont ressenti la même chose. Le rapport n'a pas précisé les réponses des autres personnes interrogées.

Craignant que les clients blancs potentiels lisent une présence noire dominante comme signifiant que les services et les produits sont uniquement pour les acheteurs noirs, certains créateurs d'entreprises minimisent ou éliminent également les images d'autres personnes noires dans leurs publicités aussi que dans le marketing.

Parker embauche des porte-parole blancs pour représenter son entreprise auprès du grand public.

Et bien que l'équipe fondatrice de Go Dutch Today soit un trio de femmes afro-américaines, seul l'un des cinq couples présentés sur le site Web pour l'application de rendez-vous et de rencontres est noir.

Cela joue dans toutes les entreprises de connexion de l'équipe pour élargir l'attractivité et aider à attirer les investisseurs, déclare la PDG Alysia Sargent.

"En fin de compte, nous ne voulons pas que notre marque soit noire", se prononce Sargent, ancienne responsable de compte numérique chez BET. "Evidemment, nous voulons que les Noirs l'utilisent, mais le marketing se doit d'être très large et multiculturel."

"C'est un peu dommage, mais si nous voulons aller plus loin et attirer les investisseurs de capital-risque et les investisseurs providentiels, nous ne pouvons pas être simplement noirs."

Pepper Miller, présidente du cabinet d'études de marché et de planification stratégique The Hunter-Miller Group à Chicago, déclare qu'elle comprend certaines décisions visant à minimiser la propriété noire.

"Cela n'a rien à voir avec le fait de se trahir pour quiconque. Les gens essaient de survivre, les gens pensent que les Noirs ne peuvent faire que des trucs de noirs", estime Miller, qui a commencé à se concentrer sur le marketing du consommateur noir quand on lui refusait un travail plus large quand elle débutait dans les années 1980.

"Ce n'est pas joli, mais c'est la vérité", a-t-elle dit. "C'est ce qu'on appelle le racisme, même si nous voulons avoir l'impression que nous ne traitons pas de cela, nous sommes en train de le faire."

Mais Joni Jackson, Professeure adjointe de Marketing à la Chicago State University, ne voit que peu d'avantages à la tactique et estime qu'elle encourage une perception d'infériorité au sein des entreprises appartenant à des noirs.

"Je comprends que les entreprises en démarrage pourraient penser que c'est un moyen de gagner du terrain, mais à quel moment révélez-vous que la société est détenue et dirigée par des Noirs ?"
Jackson ajoute : "Si vous êtes préoccupé par les stéréotypes négatifs qui sont véhiculés par des associations avec cela, qui peut dire qu'ils ne seront pas véhiculés une fois que quelqu'un se rend compte que c'est, en fait, une entreprise appartenant à des noirs?"

Parker répond qu'il s'en préoccupera plus tard.

"J'ai besoin que les gens regardent l'application, et pas encore le développeur de l'application", a déclaré Parker, qui est l'ancien opérateur d'un site Web promouvant les entreprises appartenant à des noirs.

"Après avoir épuisé les opportunités, je ferais mon coming-out en tant que PDG."

Ceci est la traduction d'un article de Cheryl V. Jackson paru dans le Chicago Tribune.

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